Le business de la diaspora marocaine : entre patriotisme économique et réalités du marché

Le business de la diaspora marocaine : entre patriotisme économique et réalités du marché
Chaque année, plus de 100 milliards de dirhams sont envoyés au Maroc par sa diaspora, plaçant le pays parmi les premiers récipiendaires de transferts de fonds dans le monde. Mais au-delà de cette manne précieuse, la diaspora marocaine est de plus en plus perçue comme un levier stratégique pour l’investissement, l’entrepreneuriat et l’influence économique du pays.

Installés en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne, au Canada, dans les pays du Golfe ou encore aux États-Unis, les Marocains du monde sont plus de 5 millions, soit environ 12 % de la population nationale. Cette diaspora n’est plus seulement une source de revenus familiaux : elle est composée de chefs d’entreprise, de cadres supérieurs, de créateurs, d’experts et d’investisseurs. Elle constitue un pont entre le Maroc et les marchés mondiaux.

Ces dernières années, les autorités marocaines ont multiplié les initiatives pour mobiliser cette force économique :

Création du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) ;

Mise en place d’agences d’investissement dédiées à la diaspora ;

Programmes comme MRE Invest, MeM by CGEM, ou encore des guichets spécifiques au sein du CRI (Centre régional d’investissement) ;

Organisation de forums de la diaspora, rencontres B2B, événements de networking.

L’idée centrale est claire : transformer les transferts en projets, faire du “patriotisme économique” de la diaspora un moteur de création d’entreprises, de développement régional, d’exportation et de transfert de compétences.

Mais si les intentions sont nobles, la réalité sur le terrain est plus complexe. Beaucoup de porteurs de projets issus de la diaspora se heurtent à des freins structurels :

Difficultés administratives et bureaucratie persistante ;

Méconnaissance de l’environnement réglementaire marocain ;

Manque d’accompagnement personnalisé ;

Écosystèmes locaux parfois fermés ou dominés par des réseaux informels ;

Problèmes de gouvernance dans certains projets locaux.

De nombreux MRE expriment aussi une frustration croissante face au manque de reconnaissance de leur contribution, ou au sentiment d’être instrumentalisés sans véritable écoute. Certains reviennent au Maroc avec enthousiasme, mais repartent déçus après une expérience d’entrepreneuriat avortée.

Pourtant, des histoires de réussite existent, et elles sont inspirantes. Des jeunes issus de la diaspora ont lancé des startups innovantes, des fonds d’investissement ont été créés par des Marocains du Canada ou de France, des marques internationales ont été introduites au Maroc par des franchisés MRE, des experts ont monté des cabinets de conseil à Casablanca ou Tanger.

L’enjeu est désormais de structurer l’offre et de l’orienter stratégiquement, en prenant en compte les typologies multiples de la diaspora :

Les investisseurs à la recherche de rendement ;

Les entrepreneurs souhaitant revenir ou co-investir avec des locaux ;

Les cadres ou consultants souhaitant contribuer sans nécessairement s’installer ;

Les jeunes diplômés souhaitant effectuer un retour temporaire ou un stage “utilité pays”.

Plusieurs pistes peuvent être activées pour renforcer l’impact économique de la diaspora :

Créer un fonds d’investissement dédié, abondé par les MRE, co-financé par l’État et géré avec transparence, orienté vers des projets structurants.

Développer des zones d’activités “diaspora-friendly”, avec des guichets uniques, une fiscalité adaptée et un accompagnement dédié.

Former des “ambassadeurs économiques du Maroc” dans les pays de résidence, pour promouvoir les opportunités au pays.

Lancer une plateforme digitale intégrée permettant aux MRE d’identifier les appels à projets, les startups locales, les opportunités foncières ou industrielles.

Encourager les “success stories” dans les médias, pour inspirer et légitimer l’acte d’investir ou d’entreprendre au Maroc depuis l’étranger.

Le rôle des régions est également central. Trop souvent, les MRE sont sollicités uniquement au niveau national. Or, le développement territorial du Maroc dépend aussi d’un retour ciblé vers les provinces d’origine, avec des dispositifs spécifiques pour les projets ruraux, agricoles, artisanaux ou touristiques.

Enfin, la question des transferts de compétences est aussi cruciale que celle des transferts financiers. Le Maroc peut bénéficier d’un formidable apport en matière d’expertise dans des domaines comme la médecine, l’ingénierie, l’éducation, les technologies, ou la culture. Il faut faciliter les allers-retours, les programmes de mentorat, les missions ponctuelles ou le télétravail transfrontalier.

Mobiliser la diaspora ne doit pas être un simple slogan ou un effet d’annonce. C’est un chantier stratégique qui demande une vision claire, des outils efficaces, de la transparence et de l’écoute. La diaspora ne demande qu’à contribuer, mais elle souhaite être considérée comme un partenaire à part entière, et non comme un simple guichet de devises.

En réussissant à transformer cette relation en profondeur, le Maroc pourrait faire de sa diaspora l’un de ses plus puissants leviers de croissance, d’influence et de modernisation. Un capital humain, économique et symbolique inestimable — à condition de le cultiver avec intelligence et respect.

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