Le podcast africain : une révolution sonore au service de la narration panafricaine

Le podcast africain : une révolution sonore au service de la narration panafricaine
L’Afrique vit une renaissance de la parole. Loin des grands studios ou des chaînes télévisées classiques, une nouvelle scène médiatique émerge : celle du podcast. En quelques années, ce format audio s’est imposé comme un outil d’expression libre, de transmission culturelle et de mobilisation citoyenne. Loin d’être une simple tendance, le podcast devient un espace stratégique de narration, de contestation et de construction de soi sur le continent.
Un format souple, accessible et authentique
Le podcast séduit par sa flexibilité : peu coûteux à produire, accessible via un simple smartphone, il s’écoute dans les transports, au marché ou à la maison. Dans un continent où la radio reste le média le plus consommé, le podcast apparaît comme son héritier digital, plus intime et interactif.
Il permet de donner la parole à des voix marginalisées, à des récits oubliés ou censurés dans les médias mainstream. Pour de nombreux jeunes Africains, il constitue un terrain d’expression artistique, politique ou identitaire, libre des contraintes éditoriales classiques.
Une scène continentale en pleine expansion
Du Nigeria à l’Afrique du Sud, en passant par le Maroc, le Sénégal, le Ghana ou encore le Kenya, les podcasts africains explosent en nombre et en diversité.
Parmi les productions emblématiques :
« The Spread Podcast » (Kenya) : une émission pionnière sur la sexualité en Afrique de l’Est.
« AfriWetu » (Kenya) : pour raconter l’Histoire du continent sous l’angle africain.
« Le Tchip » (France-Afrique) : sur les questions de race, de culture pop et d’identité noire.
« Le podcast Citoyen » (Burkina Faso) : un média engagé autour des luttes sociales et politiques.
Le Maroc, lui aussi, voit éclore des formats indépendants portés par des journalistes ou militants, à l’image de « Hkem », qui explore les trajectoires de femmes engagées, ou « Sowt », qui fédère une audience francophone et arabophone.
Le podcast comme outil de démocratie et de mémoire
Au-delà du divertissement, le podcast devient un véritable levier de transformation sociale. Il permet de documenter des luttes (féministes, LGBTQ+, écologiques, panafricanistes), de renforcer la conscience citoyenne, et de transmettre une mémoire orale des conflits, des migrations, des résistances.
Il joue aussi un rôle éducatif, avec des formats pédagogiques, comme « Nipe Story » (Kenya) qui adapte des nouvelles africaines en version audio, ou « Les enfants du continent » qui vulgarise l’Histoire pour les plus jeunes.
Dans des pays où la liberté de la presse est parfois menacée, le podcast devient un espace de liberté précieuse, souvent hébergé sur des plateformes étrangères, donc plus difficilement censurable.
Défis techniques, économiques et linguistiques
Mais la scène du podcast africain reste encore fragile. Les difficultés sont nombreuses :
Le manque de financement pour professionnaliser la production.
L’absence de rémunération des créateurs via des modèles économiques stables.
La concentration des audiences dans les capitales ou zones connectées.
Le poids de la langue, avec une surreprésentation du français ou de l’anglais au détriment des langues locales.
Cependant, certains projets innovent : des studios comme Kerning Cultures, Sowt, ou Africa Podcast Network forment et accompagnent les podcasteurs africains. Des bourses émergent (ex : du Goethe Institut, ou d’AfriLabs), tout comme des plateformes africaines dédiées (ex : AfroPod, Sonic Africa, Kukua, etc.).
Vers un avenir sonore africain
Le podcast, en Afrique, n’est pas qu’un média. C’est une forme de réappropriation culturelle, un espace de création brute, de proximité, et de transmission. En investissant ce terrain, la jeunesse africaine se raconte, se questionne et imagine l’avenir à sa manière, dans une langue qui lui est propre, dans un rythme qui lui ressemble.
Dans les prochaines années, l’enjeu sera de pérenniser cette dynamique : former, financer, traduire, archiver. Car ces voix africaines, encore fragiles, constituent une archive vivante de l’Afrique contemporaine, de ses blessures comme de ses espérances.