Transport & logistique en Afrique : le prochain eldorado des startups ?

Transport & logistique en Afrique : le prochain eldorado des startups ?
Le transport et la logistique représentent l’épine dorsale de toute économie performante. En Afrique, ces secteurs ont longtemps été considérés comme des freins au développement à cause de leurs coûts élevés, de leur faible fiabilité et d’un manque chronique d’infrastructures modernes. Mais depuis quelques années, une nouvelle vague de startups africaines, soutenues par des investisseurs de plus en plus attentifs, s’attaque à ces défis en profondeur. Portées par la technologie, ces jeunes entreprises sont en train de redessiner les chaînes d’approvisionnement, de fluidifier les flux de marchandises et de reconnecter des marchés longtemps fragmentés.
Aujourd’hui, la logistique n’est plus seulement un problème à résoudre, elle devient un secteur d’opportunités économiques majeures, avec un potentiel de transformation aussi important que celui de la fintech ou de la santé digitale. Pour les entrepreneurs visionnaires, c’est un marché encore sous-exploité, où l’innovation peut générer des solutions à fort impact et à forte valeur ajoutée.
Le constat de départ est clair : transporter un conteneur d’un point à un autre sur le continent africain coûte entre deux et trois fois plus cher qu’en Asie ou en Europe. Les délais sont plus longs, les risques plus élevés, et la traçabilité limitée. Les raisons sont multiples : routes dégradées, congestion urbaine, faiblesse des infrastructures portuaires et ferroviaires, bureaucratie douanière, fragmentation du marché continental, domination d’intermédiaires informels, etc.
Face à cela, plusieurs startups africaines ont vu le jour pour réinventer le modèle logistique traditionnel. En Afrique de l’Ouest, des entreprises comme Kamtar (Côte d’Ivoire) ou Sendy (Kenya, Nigeria) ont développé des plateformes numériques de gestion du transport de marchandises, mettant en relation directe les entreprises et les transporteurs. Ces solutions permettent de réduire les coûts, sécuriser les transactions et améliorer la traçabilité.
Au Nigeria, Kobo360 est devenue une référence continentale. Cette startup connecte les entreprises ayant besoin de transporter leurs marchandises à un réseau de chauffeurs professionnels via une application mobile. Elle gère déjà des milliers de camions et opère dans plusieurs pays. Sa valeur ajoutée ne réside pas uniquement dans l’optimisation du transport, mais aussi dans le financement du carburant, la gestion des assurances, la formation des chauffeurs et la collecte de données logistiques.
Dans le domaine de la livraison urbaine, l’Afrique connaît aussi un boom. Des plateformes comme Max.ng, Gokada, Yassir Express, ou Glovo Afrique ont développé des modèles adaptés aux réalités locales pour assurer des livraisons rapides à domicile, en particulier dans les grandes villes où les embouteillages sont un défi quotidien. En combinant deux-roues motorisés, technologie mobile, et connaissance du terrain, ces acteurs répondent à une demande croissante des consommateurs urbains.
Mais le vrai défi réside dans l’intégration continentale des flux logistiques. La mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), qui vise à stimuler le commerce intra-africain, dépendra en grande partie de la capacité des acteurs logistiques à créer des corridors fiables entre les pays. Dans ce contexte, les startups logistiques ne sont plus de simples transporteurs, elles deviennent des catalyseurs de commerce régional et d’industrialisation.
De nouveaux modèles hybrides apparaissent, mêlant logistique traditionnelle, numérique, financement et e-commerce. Des plateformes comme Trella, Wasoko ou Sokowatch intègrent la livraison avec la distribution et la gestion des stocks pour les détaillants, permettant à de petites épiceries ou kiosques d’accéder à des produits en temps réel, sans devoir se déplacer ou immobiliser du capital.
Les investisseurs ne s’y trompent pas. Ces dernières années, plusieurs tours de table ont permis à des startups logistiques africaines de lever des millions de dollars, attirant l’attention de fonds internationaux comme Partech, TLcom, IFC ou Alitheia. Cette confiance repose sur le fait que la logistique est un levier de transformation systémique : elle soutient l’agriculture, l’industrie, le commerce de détail, la santé, l’éducation, le tourisme…
Cependant, les défis restent nombreux. D’abord, l’accès au financement demeure difficile, notamment pour les startups en phase d’amorçage ou celles qui opèrent dans des zones rurales. Ensuite, la réglementation est souvent floue ou instable, ce qui freine l’innovation (restrictions sur les motos-taxis, lourdeurs douanières, absence de normes interopérables…).
Par ailleurs, le manque de données structurées rend difficile la planification des opérations. Dans de nombreux pays africains, les adresses sont imprécises, les cartographies incomplètes, les informations sur le trafic inexistantes. Cela nécessite des solutions créatives basées sur la géolocalisation, l’intelligence artificielle ou la reconnaissance de motifs comportementaux.
Pour libérer le potentiel du secteur, trois leviers sont essentiels : la coopération public-privé, l’ouverture des données logistiques, et l’investissement dans les infrastructures connectées. Les gouvernements doivent reconnaître les startups logistiques comme des partenaires stratégiques, faciliter leur régulation, co-construire des hubs intelligents, et numériser les procédures de transport.
L’avenir de la logistique africaine passera aussi par l’inclusion. Beaucoup de petites entreprises de transport opèrent encore de manière informelle. Intégrer ces acteurs dans des plateformes digitales, leur donner accès à des outils de gestion, à de la micro-assurance ou à du crédit, peut créer un écosystème logistique plus juste, plus efficace, et plus résilient.
En somme, le secteur transport & logistique en Afrique est à la croisée des chemins. Il est à la fois l’un des plus complexes à moderniser et l’un des plus prometteurs à structurer. Pour les startups africaines, c’est une opportunité de bâtir des modèles originaux, adaptés au continent, et exportables. Pour les investisseurs, c’est un pari sur l’avenir du commerce, de la production et de la mobilité en Afrique. Et pour les États, c’est une urgence stratégique. Car sans logistique efficace, il n’y a ni industrialisation, ni marché intérieur, ni compétitivité continentale.