Dette africaine : dépendance structurelle ou levier stratégique de développement ?

Dette africaine : dépendance structurelle ou levier stratégique de développement ?
Entre pressions financières croissantes, recompositions géopolitiques et besoins massifs en infrastructures, la question de la dette redevient centrale dans le débat sur l’avenir économique du continent africain. Alors que plusieurs pays connaissent une vulnérabilité budgétaire accrue, le recours à l’endettement international soulève une interrogation de fond : la dette est-elle un piège ou un outil ? Faut-il parler de dépendance ou de stratégie ? À l’heure où l’Afrique cherche à financer sa croissance sans compromettre sa souveraineté, ce dossier propose une analyse des dynamiques, risques et opportunités liés à la dette africaine.
Une montée en puissance de la dette post-Covid
La pandémie de Covid-19 a marqué un tournant : pour amortir le choc économique, soutenir les systèmes de santé et relancer les économies, plusieurs États africains ont eu recours à un endettement massif. Résultat : selon la Banque mondiale, la dette publique des pays africains est passée en moyenne de 40 % à plus de 60 % du PIB entre 2015 et 2024, avec des pics dépassant les 100 % dans certains pays (Soudan, Zambie, Mozambique).
À cela s’ajoute un contexte mondial tendu : hausse des taux d’intérêt, resserrement des politiques monétaires, et ralentissement de la croissance mondiale rendent le coût de la dette de plus en plus élevé.
Une dette de plus en plus commerciale et non-concessionnelle
Si, historiquement, les pays africains s’endettaient principalement auprès de bailleurs publics (Banque mondiale, FMI, pays du Club de Paris), la tendance récente est à la diversification des sources d’endettement : eurobonds sur les marchés financiers, emprunts bilatéraux avec la Chine ou les pays du Golfe, partenariats public-privé…
Cette évolution a deux conséquences : une plus grande autonomie financière, mais aussi une plus forte exposition aux taux variables et aux marchés volatils. Elle entraîne également une opacité croissante dans la structure des dettes, rendant leur gestion et leur renégociation plus complexes.
Le cas du franc CFA et des pays à faible marge de manœuvre monétaire
Pour les pays de la zone franc, dont la monnaie est arrimée à l’euro, la capacité à ajuster les politiques monétaires ou à dévaluer pour soulager la dette est quasiment nulle. Cela renforce leur dépendance à des mécanismes extérieurs et limite leur flexibilité budgétaire.
La question de la réforme du CFA, du rôle de la BCEAO et de la BEAC, ainsi que des projets de monnaies régionales (comme l’Eco en Afrique de l’Ouest), s’inscrit dans cette problématique de souveraineté financière liée à la dette.
Le piège du service de la dette : une bombe à retardement ?
Dans plusieurs pays, le service de la dette (intérêts + principal) représente désormais plus de 30 % des recettes fiscales annuelles, ce qui entraîne un effet d’éviction sur les dépenses sociales et les investissements productifs.
Des pays comme la Zambie, le Ghana ou l’Éthiopie ont déjà demandé une restructuration partielle de leur dette ou sont en discussions avec le FMI. Le risque d’un effet domino plane sur d’autres économies, surtout si les tensions géopolitiques continuent de perturber les marchés.
Réévaluer les critères de soutenabilité : vers un nouveau paradigme ?
La question n’est plus seulement : « combien la dette représente-t-elle du PIB ? », mais plutôt :
– À quoi sert-elle ?
– Quel rendement économique et social en résulte ?
– Est-elle soutenable dans le temps et socialement acceptable ?
Une dette qui finance des infrastructures, l’éducation ou la transition énergétique n’a pas le même impact qu’une dette contractée pour boucler des budgets de fonctionnement déficitaires.
Des experts appellent à intégrer dans les analyses de viabilité des critères de qualité, d’impact, et de résilience, en rupture avec la vision purement comptable défendue par les agences de notation.
Des alternatives africaines émergent : dette verte, obligations souveraines locales, mutualisation…
Face à ces enjeux, de nouvelles pistes se dessinent :
– Obligations vertes et bleues pour financer la transition écologique.
– Développement des marchés financiers domestiques pour réduire la dépendance extérieure.
– Projets de mutualisation de la dette africaine à l’échelle régionale (via la BAD ou des fonds souverains africains).
– Renforcement de la transparence budgétaire pour restaurer la confiance des créanciers et des citoyens.
Conclusion
La dette africaine n’est ni un fardeau inévitable, ni un outil magique. Tout dépend de sa qualité, de sa gouvernance et de sa finalité. Plutôt que de diaboliser ou de glorifier l’endettement, il s’agit pour l’Afrique de repenser ses modèles de financement, de reprendre le contrôle sur ses leviers budgétaires, et de faire de la dette un choix stratégique éclairé, au service du développement durable et de la souveraineté économique.