L’intelligence artificielle au service de l’administration publique : promesse d’efficacité ou menace pour l’emploi au Maroc ?

L’intelligence artificielle au service de l’administration publique : promesse d’efficacité ou menace pour l’emploi au Maroc ?

La transformation numérique du secteur public est désormais au cœur des priorités gouvernementales au Maroc. L’un des leviers les plus prometteurs – mais aussi les plus controversés – est l’introduction de l’intelligence artificielle (IA) dans les rouages de l’administration. De la digitalisation des services à la prise de décision automatisée, les projets se multiplient. Si l’IA promet une administration plus rapide, plus efficiente et moins bureaucratique, elle soulève également des interrogations profondes sur la protection des données, les inégalités d’accès, et surtout, l’avenir des emplois publics.

Une accélération impulsée par le numérique
Depuis la mise en place de la stratégie nationale de transformation numérique, le Maroc multiplie les chantiers : guichets électroniques, plateformes d’e-gouvernement, systèmes d’identification biométrique, etc. L’IA commence désormais à être intégrée à ces dispositifs, notamment dans :

L’analyse prédictive des demandes administratives (allocations, subventions)

L’automatisation de la réponse aux citoyens via des chatbots

Le traitement de dossiers dans les domaines de la fiscalité, de la justice et de la santé

La détection des fraudes ou irrégularités dans les marchés publics

La finalité : gagner en efficacité, réduire les délais de traitement, désengorger les services, et améliorer l’expérience usager.

Gains d’efficacité vs fragilisation de l’emploi public
Du côté des administrations, l’enthousiasme est palpable : l’IA permet de traiter des milliers de dossiers en un temps record, de réduire les marges d’erreur humaine, et d’optimiser la gestion des ressources. Mais pour les syndicats et les fonctionnaires, le tableau est moins reluisant.

L’automatisation croissante fait planer une menace sur certains emplois administratifs, en particulier les postes d’exécution les plus routiniers. La crainte est double : une réduction progressive des effectifs, et une perte de sens au travail pour ceux qui restent, cantonnés à des tâches résiduelles non automatisables.

Une question de souveraineté numérique
Autre point sensible : l’origine et le contrôle des outils d’IA. Nombre de ces solutions sont développées par des entreprises étrangères ou via des partenariats public-privé dont les modalités sont peu transparentes. Cela pose la question de la souveraineté numérique du Maroc : qui contrôle les algorithmes utilisés par l’administration ? Qui en garantit l’éthique, l’impartialité, la sécurité ?

La Commission nationale de protection des données personnelles (CNDP) a d’ailleurs alerté sur les risques liés à l’utilisation non encadrée de l’IA, notamment en matière de profilage, de surveillance, ou de décisions automatisées sans recours humain.

Vers une IA inclusive et éthique
Pour que l’IA dans l’administration soit un levier de progrès et non une source de fracture, plusieurs conditions doivent être réunies :

Mettre en place un cadre réglementaire strict pour encadrer l’usage de l’IA dans le secteur public

Assurer la transparence des algorithmes utilisés et la possibilité de contester les décisions automatisées

Accompagner les fonctionnaires par des programmes de reconversion et de montée en compétences

Garantir l’inclusivité, en tenant compte des populations éloignées du numérique (zones rurales, personnes âgées, analphabètes)

Un futur encore à dessiner
L’introduction de l’IA dans l’administration marocaine n’est ni un mal nécessaire ni une panacée. Elle doit être pensée comme un outil au service de l’intérêt général, avec toutes les précautions que cela implique. La transformation numérique ne doit pas se faire contre les agents publics mais avec eux, et encore moins au détriment des droits fondamentaux des citoyens.

Le défi pour l’État marocain ne sera pas uniquement technologique, mais fondamentalement politique : comment faire coexister efficacité, équité et souveraineté dans une administration où l’intelligence devient, peu à peu, artificielle ?

 

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