L’essor du commerce informel au Maroc : entre moteur économique et défi réglementaire

L’essor du commerce informel au Maroc : entre moteur économique et défi réglementaire

Le commerce informel occupe une place centrale dans l’économie marocaine. Selon des estimations de la Banque mondiale, il représenterait entre 20 et 30 % du produit intérieur brut (PIB), et concernerait des millions de Marocains. Dans un pays où le chômage, notamment des jeunes et des femmes, reste élevé et où l’accès au marché formel est souvent limité, l’informel se présente comme une alternative de survie. Mais cette dynamique, si elle joue un rôle d’amortisseur social, pose aussi des défis majeurs en matière de régulation, de fiscalité, de concurrence et de politique publique.

Une réalité profondément enracinée
Le commerce informel au Maroc ne se limite pas aux vendeurs ambulants ou aux petits marchés populaires. Il s’étend à une grande variété d’activités économiques : services de transport non déclarés, artisans sans immatriculation, commerces de proximité opérant sans registre de commerce, et même de petites structures numériques opérant via les réseaux sociaux. Cette informalité est souvent le fruit d’une exclusion du système : lourdeurs administratives, méfiance vis-à-vis des institutions, accès limité au crédit, complexité du régime fiscal…

Le secteur est particulièrement actif dans les zones urbaines périphériques, mais aussi dans les campagnes, où l’absence d’infrastructures et de soutien public rend l’économie informelle presque inévitable.

Une dynamique économique… mais à double tranchant
Le commerce informel contribue à l’emploi et à la consommation. Il permet à des millions de familles de subvenir à leurs besoins et participe activement à la vitalité de certains quartiers ou villes. Toutefois, il s’accompagne d’effets pervers :

Manque à gagner fiscal : des milliards de dirhams échappent chaque année au Trésor public.

Concurrence déloyale : les entreprises formelles, soumises aux charges sociales et fiscales, peinent à rivaliser avec des acteurs informels souvent plus flexibles et moins coûteux.

Précarité sociale : les travailleurs du secteur informel ne bénéficient d’aucune couverture sociale, ni retraite, ni assurance maladie, les exposant à une extrême vulnérabilité en cas de choc économique ou sanitaire.

Des efforts d’intégration insuffisants
Conscient des enjeux, le Maroc a mis en place plusieurs mécanismes d’intégration du secteur informel. Le régime de l’auto-entrepreneur lancé en 2015 visait notamment à simplifier la formalisation de petites activités. Des programmes de financement, de formation et d’accompagnement ont également vu le jour. Mais ces dispositifs peinent à convaincre, souvent en raison d’un manque de sensibilisation, d’une bureaucratie persistante ou d’un cadre réglementaire encore peu attractif.

La digitalisation pourrait représenter une opportunité majeure pour intégrer progressivement l’informel. Les paiements mobiles, les plateformes de commerce en ligne, ou encore l’e-administration pourraient faciliter l’enregistrement des activités économiques et le lien avec les institutions.

Vers une régulation intelligente et inclusive ?
Le défi est de taille : réguler sans étouffer. Si la répression pure et simple risque d’aggraver la précarité et les tensions sociales, une politique d’intégration progressive, adaptée aux réalités du terrain, apparaît comme une solution plus durable. Cela suppose :

Un cadre fiscal simplifié et proportionnel aux revenus réels ;

Des incitations concrètes à la formalisation (accès au crédit, marchés publics, protection sociale…) ;

Une décentralisation accrue des politiques d’inclusion économique ;

Une meilleure coordination entre les acteurs publics, les collectivités et les associations locales.

Conclusion
L’économie informelle au Maroc n’est ni un mal à éradiquer brutalement, ni un modèle à conserver tel quel. Elle est l’expression d’une résilience face aux failles du système, mais aussi d’une fragmentation économique qu’il devient urgent de résorber. Relever ce défi exige une approche pragmatique, inclusive et territorialisée, capable de faire converger développement économique, justice sociale et renforcement de l’État de droit.

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