Faible liquidité, désintérêt local : pourquoi les bourses africaines peinent encore à convaincre

Faible liquidité, désintérêt local : pourquoi les bourses africaines peinent encore à convaincre
Malgré les progrès réalisés ces dernières années en matière d’infrastructure financière, de régulation et de digitalisation, les bourses africaines continuent de souffrir d’un mal chronique : une faible liquidité et une participation locale extrêmement limitée. Si plusieurs pays du continent disposent d’institutions boursières solides et bien structurées, leur capacité à drainer les capitaux locaux, notamment ceux des particuliers et des petites institutions, demeure largement sous-exploitée.
Une architecture boursière qui se développe… sans son public
Aujourd’hui, l’Afrique compte près de 29 bourses de valeurs, réparties dans toutes les régions du continent. Le Maroc avec la Bourse de Casablanca, le Nigeria avec la Nigerian Exchange (NGX), l’Afrique du Sud avec le Johannesburg Stock Exchange (JSE), ou encore le Kenya avec la Nairobi Securities Exchange (NSE), sont régulièrement cités comme des places de référence. Elles se modernisent, digitalisent leurs processus, se dotent de plateformes électroniques performantes, et attirent une certaine part de capitaux étrangers. Mais le constat est sans appel : les investisseurs locaux ne suivent pas.
À la Bourse de Casablanca, les volumes d’échange restent bas, concentrés sur quelques grandes valeurs (Attijariwafa bank, Maroc Telecom…). Le marché ne bénéficie pas de nouvelles introductions majeures, et le nombre de particuliers actifs reste marginal. En Afrique de l’Ouest, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM), qui regroupe huit pays de l’UEMOA, fait face aux mêmes défis : faible volume, désintérêt du grand public, manque de visibilité.
Des obstacles profonds et multiples
Ce désintérêt local pour la bourse est le résultat d’un faisceau de facteurs structurels, psychologiques et culturels.
1. Manque d’éducation financière
L’un des obstacles majeurs réside dans l’absence d’une culture de l’investissement boursier. Dans de nombreux pays africains, l’idée même de placer son argent dans des actions est perçue comme risquée, voire opaque. Le fonctionnement de la bourse est mal compris. Le langage technique, l’absence de formation dans les écoles et l’éducation financière quasi inexistante freinent l’émergence d’une base d’investisseurs individuels.
La notion de « capitalisation à long terme » reste abstraite dans des contextes où l’épargne est encore souvent informelle ou tournée vers des besoins immédiats.
2. Préférences pour les investissements tangibles
L’immobilier et le commerce informel restent les placements privilégiés pour les Africains. Acheter un terrain, construire une maison ou ouvrir une boutique sont perçus comme plus concrets, plus sûrs et socialement valorisés. La bourse, elle, semble lointaine, intangible, et surtout, non maîtrisable. Dans certains pays comme le Ghana ou le Cameroun, le souvenir de scandales financiers ou de krachs passés a renforcé cette méfiance.
3. Offre boursière peu attractive
Les bourses africaines proposent souvent une gamme limitée d’instruments : essentiellement des actions de grandes entreprises traditionnelles (banques, télécoms, industries) et quelques obligations d’État. Les produits innovants – comme les ETF, les obligations vertes, ou les produits dérivés – sont encore embryonnaires. Le manque de diversité sectorielle et l’absence d’entreprises technologiques ou de start-up cotées nuisent à l’attractivité du marché pour une jeunesse urbaine pourtant très sensible à ces nouveaux modèles économiques.
4. Accès difficile et procédures lourdes
Dans de nombreux pays, l’ouverture d’un compte-titres passe par des intermédiaires (SGI, banques) avec des frais élevés, peu de transparence, et des interfaces complexes. Le ticket d’entrée est parfois dissuasif. Pour les jeunes ou les populations rurales, l’expérience utilisateur est loin d’être intuitive ou accessible.
Les prémices d’un réveil : les fintechs bousculent le modèle
Depuis quelques années, des plateformes numériques émergent et proposent une nouvelle façon d’accéder aux marchés boursiers. En Afrique anglophone, des applications comme Bamboo, Chaka (Nigeria), ou Hisa (Kenya) permettent d’investir dans des actions locales ou internationales à partir de quelques dollars, avec une interface mobile simple et éducative. En Afrique du Sud, EasyEquities a séduit une nouvelle génération d’investisseurs grâce à sa transparence et son accessibilité.
Au Kenya, l’État a innové en lançant M-Akiba, une obligation d’État accessible via mobile money (M-Pesa). Résultat : des milliers de petits épargnants ont pu acheter des titres de dette publique avec des montants de départ aussi bas que 10 dollars. Ce genre d’initiative prouve qu’une finance plus inclusive est possible.
Dans le monde francophone, cependant, ces outils peinent encore à percer. L’environnement réglementaire est souvent plus rigide, et les synergies entre banques, fintechs et autorités de marché sont encore faibles. Mais le potentiel est immense, notamment avec l’explosion du mobile banking et l’émergence d’une classe moyenne numérique.
Le rôle-clé de l’éducation et de la vulgarisation
Au-delà de la technologie, la clé de l’inclusion boursière reste la pédagogie. Dans plusieurs pays comme le Ghana, la Côte d’Ivoire ou le Rwanda, des campagnes de sensibilisation à l’investissement boursier commencent à émerger, souvent portées par les bourses elles-mêmes ou par des ONG. L’enjeu est de faire comprendre au grand public que l’investissement en actions n’est pas réservé aux riches, et qu’il peut être un levier puissant de création de valeur à long terme.
Des programmes éducatifs ciblés dans les universités, des partenariats avec des influenceurs économiques, ou encore des simulateurs boursiers pour les jeunes pourraient progressivement changer la perception du public.
Vers une finance africaine plus populaire ?
L’avenir des marchés financiers africains dépendra largement de leur capacité à attirer leur propre population. Le capital étranger est important, mais instable. Le véritable gage de résilience réside dans une base locale solide, diversifiée et engagée. Pour cela, il faut que les marchés reflètent mieux les réalités économiques et sociétales africaines : plus d’entreprises proches des populations, plus de transparence, plus d’innovation.
Il est temps que les bourses africaines deviennent des espaces d’inclusion, pas seulement des vitrines de modernité. Car sans leur public local, elles resteront des coquilles vides.