Comment l’Afrique peut-elle réussir sa transition énergétique sans répéter les erreurs du Nord ?

Comment l’Afrique peut-elle réussir sa transition énergétique sans répéter les erreurs du Nord ?
Le XXIe siècle est celui des transitions. Énergétique, numérique, écologique, économique. Et au cœur de ces bouleversements, l’Afrique occupe une position paradoxale : elle est à la fois le continent le moins pollueur de la planète, responsable de moins de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et celui qui sera le plus durement impacté par les effets du changement climatique. Mais c’est aussi une terre d’opportunités, capable de bâtir une trajectoire énergétique inédite, plus durable, plus inclusive et mieux adaptée à ses réalités.
La transition énergétique africaine ne peut être une simple copie du modèle occidental. Elle doit être pensée selon les spécificités du continent : une croissance démographique explosive, un taux d’électrification encore très bas dans de nombreuses zones, des infrastructures fragiles, et une forte disparité entre les pays, les régions, voire les quartiers. Le défi est immense, mais il contient en lui une formidable opportunité de sauter des étapes.
L’Afrique abrite certaines des ressources naturelles les plus abondantes du monde en matière d’énergie renouvelable : le soleil (avec des taux d’ensoleillement parmi les plus élevés de la planète), le vent (particulièrement dans les régions côtières et désertiques), l’eau (hydroélectricité), la biomasse, et même le potentiel géothermique en Afrique de l’Est. À cela s’ajoute la présence stratégique de minéraux critiques nécessaires à la transition énergétique mondiale : cobalt, lithium, nickel, graphite, manganèse.
Et pourtant, plus de 600 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à l’électricité, et plusieurs dizaines de millions d’autres ne bénéficient que d’un accès partiel ou intermittent. Cela freine non seulement le développement économique, mais aussi l’éducation, la santé, la sécurité, la productivité. L’urgence de l’accès universel à l’énergie est donc aussi une question de dignité humaine.
Pour répondre à cette double urgence — électrification rapide et respect des engagements climatiques — l’Afrique doit inventer son propre modèle, fondé sur la décentralisation, l’innovation et l’adaptation locale.
L’une des pistes les plus prometteuses est celle des mini-réseaux solaires décentralisés. Au lieu d’attendre la construction de méga-centrales connectées à un réseau souvent obsolète, de nombreuses startups et initiatives locales installent des micro-centrales solaires autonomes dans les villages, alimentant quelques dizaines ou centaines de foyers, écoles ou centres de santé. Des entreprises comme Bboxx, PEG Africa, Zola Electric ou PowerGen déploient déjà ces solutions avec des modèles basés sur le prépaiement, le mobile banking, et la maintenance à distance.
Ces systèmes permettent une accélération de l’accès à l’énergie à moindre coût, tout en réduisant les émissions de CO₂. Mais leur généralisation nécessite un appui politique fort, une fiscalité adaptée, et une structuration du marché pour éviter la fragmentation des offres et l’inefficacité à grande échelle.
Un autre axe de développement réside dans la valorisation intelligente des ressources hydroélectriques, en particulier dans les pays d’Afrique centrale et de l’Est. Des projets comme le barrage de Grand Inga (RDC), s’ils sont menés de manière inclusive, écologique et régionale, pourraient devenir des piliers d’une transition propre. Cependant, ces infrastructures géantes sont souvent victimes de surcoûts, de corruption, et de tensions géopolitiques entre États.
Dans les zones urbaines, la modernisation des réseaux reste cruciale. L’inefficacité du transport de l’électricité (pertes techniques, délestages, vols) coûte des milliards chaque année. Là aussi, des innovations apparaissent : compteurs intelligents, gestion de la demande, production distribuée (panneaux solaires sur les toits d’immeubles), et hybridation des sources (solaire + batterie + groupe électrogène).
La transition énergétique africaine ne peut pas non plus faire l’impasse sur le rôle central de la cuisson propre. Aujourd’hui, plus de 800 millions de personnes utilisent encore du bois ou du charbon pour cuisiner, provoquant déforestation, pollution intérieure et problèmes de santé majeurs. Le développement de solutions comme les fours améliorés, le gaz de cuisson abordable, ou les biocombustibles locaux est un levier puissant pour concilier écologie, santé publique et autonomisation des femmes.
Mais pour réussir cette transition, il faut aussi une transformation de la gouvernance énergétique. Trop souvent, les politiques sont dictées par des agendas extérieurs, des bailleurs internationaux ou des entreprises étrangères. Or, la planification énergétique doit être nationale, inclusive et prospective. Elle doit intégrer les acteurs locaux, les startups, les communautés, les entreprises, les chercheurs, et anticiper les évolutions démographiques, technologiques et climatiques.
La formation est également un maillon essentiel. Il faut former des milliers de techniciens, d’ingénieurs, de gestionnaires de projets, de financiers spécialisés dans les énergies renouvelables. Des initiatives comme les centres de formation en solaire ou les partenariats entre universités africaines et institutions internationales doivent être multipliées.
Enfin, l’Afrique doit revendiquer une place équitable dans la gouvernance énergétique mondiale. Elle ne peut être reléguée à un simple rôle de fournisseur de matières premières ou de marché passif. Elle doit être actrice de sa transition, influencer les normes internationales, exiger des financements climatiques justes, et valoriser ses solutions locales.
Car oui, la transition énergétique est une opportunité historique pour l’Afrique, à condition qu’elle ne soit pas subie, mais pensée, pilotée, et portée par les Africains eux-mêmes. En refusant les erreurs du Nord — dépendance aux énergies fossiles, gigantisme coûteux, privatisation sans régulation — le continent peut tracer une voie nouvelle, celle d’une énergie propre, accessible, résiliente et créatrice d’emplois.
L’énergie de demain ne sera pas seulement solaire ou éolienne. Elle sera africaine… ou elle manquera une partie essentielle de son avenir.