Le Nigeria face à une nouvelle crise énergétique : entre délestages et tensions politiques

Le Nigeria face à une nouvelle crise énergétique : entre délestages et tensions politiques
Depuis le début de l’année 2025, le Nigeria est de nouveau plongé dans une crise énergétique aiguë, marquée par des coupures de courant massives dans les principales villes du pays, un ralentissement des activités économiques et une recrudescence des tensions sociales. Malgré ses importantes ressources en hydrocarbures, le géant ouest-africain peine à stabiliser son réseau électrique, alimentant frustration, colère et désillusion dans une population déjà confrontée à de nombreux défis quotidiens.
Une panne systémique aux multiples causes
Le Nigeria produit en moyenne entre 3 000 et 4 500 mégawatts d’électricité pour plus de 200 millions d’habitants. Ce chiffre est dérisoire comparé aux besoins d’une économie en pleine croissance et aux ambitions d’industrialisation du pays. Les experts pointent du doigt un ensemble de failles structurelles : infrastructures vétustes, centrales thermiques souvent à l’arrêt, réseaux de distribution défectueux, et surtout une corruption chronique dans le secteur.
La crise actuelle a été aggravée par une baisse brutale de la disponibilité du gaz naturel, principale ressource utilisée pour produire de l’électricité au Nigeria. Des actes de sabotage sur les pipelines dans le Delta du Niger ont réduit les capacités d’approvisionnement des centrales thermiques. Par ailleurs, la dette accumulée par les distributeurs auprès des producteurs empêche les investissements dans la maintenance et le renouvellement des équipements.
Un impact économique lourd
Les coupures de courant affectent profondément le tissu économique nigérian. Les petites et moyennes entreprises, qui représentent plus de 80 % des emplois formels, dépendent largement d’une alimentation stable pour fonctionner. Faute d’électricité, de nombreux commerçants et artisans doivent investir dans des générateurs coûteux, alimentés par un carburant dont le prix ne cesse d’augmenter. Cette situation crée un effet domino sur les prix, avec une inflation déjà galopante.
Les grandes entreprises, notamment dans les secteurs du textile, de l’agroalimentaire et du numérique, révisent à la baisse leurs objectifs pour 2025. Le climat des affaires se dégrade, et certains investisseurs étrangers commencent à rediriger leurs fonds vers des marchés perçus comme plus stables, comme le Kenya ou le Ghana.
Une population à bout de souffle
Dans les grandes métropoles comme Lagos, Abuja ou Port Harcourt, les délestages durent parfois plus de 12 heures par jour. Les ménages sont contraints de vivre dans la chaleur, sans ventilation ni réfrigération, dans un pays où les températures dépassent régulièrement les 35 degrés. Les écoles, les hôpitaux et les transports publics sont également fortement perturbés, accentuant le sentiment d’abandon.
Sur les réseaux sociaux, les Nigérians expriment massivement leur ras-le-bol sous les hashtags #NoLight et #EndPowerFailure. Plusieurs manifestations ont éclaté, notamment à Lagos et Ibadan, forçant les autorités locales à déployer des forces de l’ordre pour contenir la grogne populaire. Certains analystes évoquent une situation potentiellement explosive à l’approche des élections régionales prévues pour novembre 2025.
Une réponse gouvernementale jugée insuffisante
Face à cette crise, le gouvernement du président Bola Ahmed Tinubu a annoncé en mai une série de mesures d’urgence : subventions temporaires pour l’achat de carburant, plans de maintenance accélérée des centrales, et appel aux investisseurs privés pour relancer les partenariats public-privé dans le secteur énergétique. Mais ces annonces peinent à convaincre une opinion publique de plus en plus sceptique.
Le ministre de l’Énergie, Adebayo Adelabu, a tenté de rassurer en évoquant un “plan de transition énergétique progressif”, intégrant davantage de sources renouvelables. Pourtant, les projets solaires ou hydrauliques avancent lentement, freinés par les lenteurs administratives et l’instabilité du cadre réglementaire.
Le besoin d’un changement de paradigme
La crise actuelle met en lumière l’urgence d’un changement profond de gouvernance dans le secteur énergétique nigérian. Plusieurs experts préconisent une décentralisation accrue de la production, en favorisant les mini-réseaux solaires pour les zones rurales et périurbaines. L’exemple du Rwanda ou du Cap-Vert, qui ont misé sur l’autoproduction et les partenariats communautaires, inspire déjà certains acteurs locaux.
D’autres estiment que la libéralisation du secteur, avec une régulation plus rigoureuse et indépendante, pourrait attirer davantage d’investissements privés et stimuler l’innovation. En attendant, c’est la résilience de la population nigériane qui continue de faire face à cette nouvelle crise, dans un pays qui rêve toujours d’exploiter pleinement son immense potentiel.