L’économie informelle au Bénin : entre survie quotidienne et moteur silencieux de croissance

L’économie informelle au Bénin : entre survie quotidienne et moteur silencieux de croissance
Dans les rues animées de Cotonou, entre les étals de fruits, les couturiers de quartier, les vendeurs de crédit téléphonique ou les zémidjans (chauffeurs de taxi-moto), un pan entier de l’économie béninoise s’active. Invisible dans les statistiques officielles, mais omniprésent dans la vie réelle, le secteur informel est une force motrice incontournable. Il représente plus de 90 % des emplois au Bénin et contribue significativement au PIB, selon les estimations de la Banque mondiale. Pourtant, ce pilier économique demeure en marge des politiques publiques et du système fiscal.
Le paradoxe est frappant : d’un côté, une économie informelle qui offre un amortisseur social essentiel dans un pays où le chômage formel est élevé ; de l’autre, une fragilité structurelle marquée par l’absence de protection sociale, le manque d’accès au crédit, et l’instabilité des revenus.
Une économie de proximité qui soutient des millions de familles
Pour de nombreux Béninois, l’informel n’est pas un choix, mais une nécessité. Faute d’emplois formels suffisants, l’auto-emploi reste la principale voie d’insertion économique. Les femmes y sont particulièrement actives : du petit commerce aux activités artisanales, elles jouent un rôle central dans le maintien de l’économie locale.
Le secteur informel touche quasiment tous les pans de la société : vendeurs de rue, mécaniciens, coiffeurs, agriculteurs à petite échelle, transporteurs. Sa souplesse en fait une zone de résilience, particulièrement en période de crise. Pendant la pandémie de Covid-19, c’est ce tissu économique informel qui a permis à une grande partie de la population de subsister, malgré les restrictions.
Une régulation complexe, souvent inadaptée
Le gouvernement béninois, conscient des enjeux, a tenté au cours des dernières années de structurer et de formaliser progressivement ce secteur. Des initiatives comme la création de registres d’artisans, ou encore la mise en place d’un guichet unique pour les très petites entreprises, vont dans le bon sens.
Mais la majorité des acteurs de l’informel reste méfiante. Pour eux, « entrer dans le système », c’est aussi s’exposer à des charges fiscales ou à des contrôles sans bénéficier, en retour, d’un véritable accompagnement. Le défi est donc autant culturel qu’institutionnel.
Une autre difficulté réside dans l’absence de données fiables. Mesurer précisément la contribution de l’informel au développement local reste complexe, faute d’outils adaptés ou d’enquêtes de terrain suffisamment fréquentes.
Vers une formalisation progressive et inclusive ?
Pour sortir de cette impasse, plusieurs économistes et organisations locales plaident pour une formalisation par l’incitation, et non par la contrainte. Cela signifie créer un environnement attractif pour les travailleurs de l’informel : accès facilité à la microfinance, couverture santé minimale, accompagnement administratif simplifié, formations techniques.
La digitalisation peut également jouer un rôle clé. Au Bénin, des applications mobiles émergent pour permettre aux petits commerçants de suivre leurs ventes, d’émettre des factures ou même d’accéder à des microcrédits. La fintech peut ainsi devenir un pont entre l’informel et le formel.
Des expériences menées au Rwanda ou au Ghana, où des programmes ont permis à des milliers de petits entrepreneurs d’accéder à des statuts simplifiés, montrent qu’un changement est possible. Encore faut-il que ce modèle soit bien adapté aux réalités locales, sans transposer des dispositifs venus d’ailleurs.
Un enjeu de souveraineté économique
Reconnaître l’importance de l’informel, ce n’est pas légitimer la précarité. C’est au contraire poser les bases d’une inclusion économique réelle. Car le secteur informel, loin d’être un simple résidu du sous-développement, est aussi un espace d’innovation sociale, de solidarité, et de résilience.
Pour le Bénin, réussir la transition entre informel et formel, c’est aussi diversifier ses bases fiscales, renforcer l’État-providence, et faire émerger une classe moyenne issue de l’économie réelle. Une ambition qui nécessite une vision de long terme, une volonté politique claire, et une étroite collaboration avec les acteurs de terrain.