Les incubateurs et accélérateurs africains : entre effet de mode et vrais leviers de croissance ?

Les incubateurs et accélérateurs africains : entre effet de mode et vrais leviers de croissance ?
Introduction Depuis une décennie, les incubateurs et accélérateurs se sont multipliés à travers le continent africain, portés par l’effervescence entrepreneuriale et le soutien de bailleurs internationaux. À première vue, cette expansion est une excellente nouvelle : elle symbolise une prise de conscience collective de l’importance d’accompagner les entrepreneurs locaux. Mais derrière cette dynamique se cache une réalité plus contrastée. Quels rôles jouent vraiment ces structures ? Sont-elles des outils efficaces d’émergence d’un tissu entrepreneurial solide ? Ou sont-elles devenues, dans certains cas, des coquilles vides ou des effets de mode mal ancrés dans les réalités africaines ?
Explosion du nombre de structures d’appui On recense aujourd’hui plus de 1 000 incubateurs, hubs, fablabs et accélérateurs actifs en Afrique. Des villes comme Lagos, Nairobi, Le Cap, Dakar, Accra ou Casablanca concentrent la majorité de ces structures, avec un foisonnement impressionnant : coworkings, hubs numériques, incubateurs publics et privés, programmes internationaux, structures universitaires…
Cette croissance est soutenue par :
- Les bailleurs internationaux (AFD, USAID, GIZ, BM, etc.)
- Les politiques publiques nationales en faveur de l’entrepreneuriat
- Le dynamisme de la jeunesse urbaine
- L’essor de la tech et du digital comme levier de transformation
Quel est l’impact réel de ces structures ? Les bénéfices sont bien réels pour les entrepreneurs accompagnés :
- Taux de survie plus élevé des startups après 2 ans
- Meilleure structuration des projets (pitch, business model, marketing)
- Accès facilité aux investisseurs et réseaux
- Visibilité accrue et accès aux opportunités internationales
Un rapport de la Banque Mondiale (2022) estime que les startups incubées en Afrique ont un taux de survie moyen de 65 % après trois ans, contre 40 % pour celles qui ne le sont pas.
Des modèles variés, des réalités disparates Il existe une très grande hétérogénéité des modèles :
- Incubateurs universitaires (UM6P StartGate, iHub à Nairobi)
- Accélérateurs privés (Flat6Labs, Startupbootcamp, Orange Corners)
- Fablabs communautaires (Donilab à Bamako, WoeLab au Togo)
- Incubateurs publics ou parapublics (DER au Sénégal, Tamwilcom au Maroc)
Cette diversité est une force, mais elle révèle aussi une faiblesse : l’absence de standards qualitatifs, de critères d’évaluation partagés, et de suivi d’impact à long terme.
Les limites et critiques
- Saturation dans certaines villes : plusieurs incubateurs fonctionnent en sous-effectif ou sans projets réellement incubés.
- Manque de spécialisation : beaucoup de structures sont généralistes, sans réelle expertise sectorielle.
- Financement fragile : dépendance forte à l’aide internationale ou à des concours annuels.
- Peu d’accompagnement post-incubation : les startups sont souvent livrées à elles-mêmes après la phase initiale.
- Manque d’ancrage local : certains incubateurs reproduisent des modèles occidentaux sans adaptation réelle aux réalités africaines.
Quelles évolutions pour un modèle durable ?
- Spécialisation sectorielle : santé, agriculture, logistique, fintech… Les incubateurs spécialisés montrent de meilleurs résultats (ex : Agritech Lab à Cotonou, HealthTech Hub à Kigali).
- Hybridation physique/virtuel : l’avenir est aux formats mixtes, avec mentorat en ligne, MOOC, suivi digital…
- Approche communautaire : les structures les plus pérennes sont celles qui créent un esprit de communauté et d’entraide entre entrepreneurs.
- Modèles économiques durables : certains incubateurs développent des services payants, du consulting, ou deviennent des fonds d’investissement hybrides.
- Suivi long terme : créer des programmes post-incubation de 12 à 24 mois pour accompagner la croissance réelle.
Cas pratiques de réussite
- Impact Hub Abidjan : accompagne plus de 200 entrepreneurs par an, avec une approche inclusive et des ateliers pratiques.
- Buni Hub (Tanzanie) : fablab qui forme des jeunes en électronique, programmation et prototypage.
- Le Wagon Africa : bootcamp intensif de 9 semaines qui produit des développeurs opérationnels.
Le rôle des institutions publiques Les États doivent jouer un rôle structurant :
- Financer des pôles régionaux d’innovation
- Intégrer les incubateurs aux universités et centres de formation
- Encourager les synergies public-privé
- Proposer des agréments ou certifications d’incubateurs selon des critères de qualité
Incubateurs et territoires : penser la décentralisation Aujourd’hui, plus de 80 % des incubateurs africains sont concentrés dans les capitales ou grandes métropoles. Il est crucial de penser l’essaimage territorial, notamment vers les zones rurales, les villes secondaires, et les régions enclavées. Des formats mobiles, des caravanes d’incubation, ou des programmes radio/WhatsApp sont testés avec succès dans plusieurs pays.
Conclusion Les incubateurs et accélérateurs africains sont à un tournant. Pour rester pertinents, ils doivent sortir de la logique du « projet financé » et entrer dans une logique d’impact mesurable et durable. Leur avenir passe par la spécialisation, la professionnalisation, l’ancrage local et la capacité à créer des communautés entrepreneuriales vivantes. S’ils réussissent ce pari, ils deviendront de puissants leviers pour faire émerger la prochaine génération de champions africains. Les incubateurs sont un outil utile, mais doivent évoluer pour ne pas devenir des coquilles vides. L’Afrique a besoin de structures agiles, adaptées aux réalités locales, et centrées sur les résultats.