Banques africaines et crypto-actifs : prudence ou opportunité manquée ?

Banques africaines et crypto-actifs : prudence ou opportunité manquée ?
L’Afrique, souvent qualifiée de continent de la leapfrog (saut technologique), n’échappe pas à la révolution des crypto-actifs. Pourtant, alors que des millions d’Africains utilisent des cryptomonnaies comme outil de transfert ou de protection de valeur, la grande majorité des banques commerciales du continent reste en retrait. Entre crainte réglementaire, méfiance technologique et conservatisme institutionnel, les banques africaines risquent de passer à côté d’une mutation stratégique majeure.

Une adoption populaire, une frilosité institutionnelle
D’un côté, les usages explosent :

Le Nigeria est le deuxième pays au monde en termes de volume de transactions en crypto après les États-Unis (source : Chainalysis 2024)

En Afrique de l’Est, des communautés entières utilisent le Bitcoin pour contourner les restrictions monétaires et faire des transferts transfrontaliers

En Afrique francophone, des jeunes créent des micro-épargnes via des wallets numériques adossés à des stablecoins

Mais de l’autre, les banques restent en retrait, voire hostiles. Peu d’entre elles permettent des virements vers ou depuis des plateformes crypto. Aucune grande banque africaine ne propose encore de produits d’épargne ou d’investissement en actifs numériques.

Pourquoi un tel écart ?
Les raisons sont multiples :

Flou réglementaire dans la majorité des pays africains, avec des banques centrales souvent opposées aux cryptomonnaies publiques

Risque réputationnel : les crypto-actifs restent associés au blanchiment, à la fraude ou à la volatilité extrême

Manque de compétences internes : peu de banques disposent de profils capables d’analyser sérieusement les technologies blockchain ou DeFi

Modèle économique menacé : les cryptos contournent les banques traditionnelles, ce qui en fait parfois une “technologie concurrente”

Des signaux faibles à ne pas ignorer
Cependant, certains signaux émergent :

La Banque centrale du Ghana a lancé une expérimentation de monnaie numérique de banque centrale (MNBC), tout comme le Nigeria avec le eNaira

La Nedbank en Afrique du Sud explore des cas d’usage blockchain dans la gestion d’actifs et l’immobilier

Au Kenya, des fintechs comme KotaniPay facilitent la conversion de stablecoins en M-Pesa, créant un pont entre crypto et monnaie locale

En Afrique du Nord, des startups comme Bitkova (Tunisie) proposent des solutions de paiement crypto adaptées aux PME exportatrices

Que devraient faire les banques africaines ?
Plutôt que d’ignorer ou de combattre le phénomène, les banques peuvent :

Se positionner en tiers de confiance, en offrant des services de garde (custody) pour crypto-actifs, ou en certifiant les plateformes sérieuses

Collaborer avec les fintechs pour construire des produits hybrides (portefeuille multi-actifs, micro-investissements, prêts tokenisés)

Participer à la régulation intelligente en co-construisant avec les banques centrales un cadre souple mais sécurisant

Former leurs équipes, en intégrant des profils blockchain et crypto dans leurs départements innovation ou conformité

Conclusion : Refuser l’immobilisme, sans foncer dans l’aventure
L’Afrique ne peut pas simplement copier les modèles crypto des pays du Nord. Mais elle ne peut pas non plus rester spectatrice. Car ce qui est en jeu, ce n’est pas juste une technologie. C’est la souveraineté financière, l’accès aux marchés globaux, et la résilience des économies face aux chocs monétaires.

Les banques africaines doivent sortir du réflexe de défense, et entrer dans une logique d’exploration contrôlée.

Sinon, d’autres le feront à leur place — et ce seront peut-être des géants étrangers, ou des acteurs décentralisés qui ne demanderont la permission à personne.

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