Afrique du Nord face à la crise hydrique : vers une guerre de l’eau silencieuse ?

Afrique du Nord face à la crise hydrique : vers une guerre de l’eau silencieuse ?

L’Afrique du Nord fait face à l’une des pires crises hydriques de son histoire contemporaine. Des barrages à sec, des restrictions d’eau de plus en plus fréquentes, des nappes phréatiques surexploitées : les signaux sont alarmants. Dans cette région semi-aride, la raréfaction des ressources en eau — accélérée par le changement climatique — provoque de vives tensions entre les usages agricoles, industriels et domestiques.

Et si, à terme, l’eau devenait le point de bascule d’une instabilité politique et sociale dans cette partie du continent ?

Une situation critique

Le Maroc, par exemple, a vu son taux de remplissage des barrages descendre à moins de 30 % dans certaines régions. Le barrage Al Massira, deuxième plus grand du pays, est à un niveau historiquement bas. À Tunis, la capitale tunisienne, des coupures d’eau nocturnes sont devenues la norme, parfois pendant plus de dix heures par jour. En Algérie, certaines villes comme Sétif ou Tizi Ouzou vivent au rythme de la pénurie depuis des années, tandis que la surexploitation des nappes sahariennes soulève des inquiétudes majeures sur la durabilité.

Ce stress hydrique affecte directement les populations urbaines, mais surtout les zones rurales où l’eau est synonyme de survie économique. L’agriculture consomme en moyenne 85 % des ressources en eau dans la région, mais elle doit désormais composer avec une forte concurrence des besoins industriels, notamment pour le tourisme, l’immobilier ou la production énergétique.

Une bombe sociale à retardement ?

La question de l’eau est de plus en plus politisée. Au Maroc, les manifestations de colère se multiplient dans les régions rurales touchées par les sécheresses à répétition. En Tunisie, la gestion de l’eau est devenue un sujet explosif entre syndicats agricoles, consommateurs et autorités locales. En Algérie, plusieurs ONG ont alerté sur la privatisation de l’eau potable dans certaines zones, qui accentue les inégalités d’accès.

Le lien entre crise hydrique et instabilité sociale est bien documenté. La raréfaction des ressources peut accentuer les conflits communautaires, favoriser l’exode rural, déstabiliser les filières agricoles, et alimenter le mécontentement populaire. Dans un contexte politique déjà fragile, l’eau devient un facteur stratégique majeur.

Que font les États ?

Face à l’urgence, les gouvernements multiplient les initiatives : construction d’unités de dessalement, projets de réutilisation des eaux usées, politiques d’économie d’eau, interdiction des cultures gourmandes comme la pastèque ou l’avocat dans certaines zones. Mais ces mesures restent souvent ponctuelles et mal coordonnées.

Le Maroc a lancé une stratégie ambitieuse de développement de l’eau non conventionnelle, avec de grandes stations de dessalement à Agadir, Dakhla ou Casablanca. La Tunisie, elle, tente de moderniser ses réseaux d’irrigation. L’Algérie investit dans les forages profonds, mais la gestion reste fortement centralisée, freinant l’innovation locale.

Une coopération régionale inexistante

Paradoxalement, alors que le bassin méditerranéen partage une même réalité climatique, la coopération régionale en matière de gestion de l’eau est quasi inexistante. Les tensions entre l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan autour du barrage de la Renaissance ont montré à quel point l’eau peut être un sujet de discorde géopolitique.

L’Afrique du Nord pourrait pourtant tirer parti d’une approche intégrée, fondée sur le partage de données, la mutualisation des technologies et une stratégie commune d’adaptation. Cela suppose de dépasser les clivages politiques pour envisager l’eau comme un bien commun stratégique.

Une nouvelle diplomatie de l’eau ?

L’enjeu est désormais de passer d’une logique de gestion de crise à une vision prospective. Car au-delà de la rareté, il y a une autre urgence : la gouvernance de l’eau. Cela inclut la transparence, la participation citoyenne, la gestion territoriale décentralisée et l’investissement dans la résilience hydrique.

Dans les années à venir, l’Afrique du Nord devra faire un choix : continuer à subir les pénuries, ou s’unir autour de l’un des enjeux les plus vitaux de notre époque.

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