Le potentiel inexploité de la transformation agroalimentaire en Afrique : entre dépendance aux matières premières et souveraineté alimentaire

Le potentiel inexploité de la transformation agroalimentaire en Afrique : entre dépendance aux matières premières et souveraineté alimentaire
Introduction
L’Afrique importe chaque année pour plus de 35 milliards de dollars de produits alimentaires transformés. Et pourtant, le continent regorge de ressources agricoles : cacao, café, manioc, sorgho, mangue, maïs, igname, arachide… La contradiction est flagrante. Alors que les terres sont fertiles, les mains-d’œuvre disponibles et la demande en croissance rapide, l’Afrique peine à transformer localement ses matières premières. Une lacune qui coûte cher, en emplois, en devises, mais aussi en souveraineté alimentaire.
Une dépendance structurelle
Dans de nombreux pays africains, l’agriculture représente entre 20 et 60 % des emplois. Cependant, cette agriculture reste largement dominée par la production brute. Par exemple, la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, ne transforme localement que 30 % de sa récolte. Le reste est exporté sous forme de fèves brutes, pour être transformé en Europe ou en Asie, avant de revenir sous forme de chocolat à des prix 5 à 10 fois supérieurs.
Le cas du Nigeria, géant démographique et agricole, est aussi symptomatique. Le pays est l’un des plus gros producteurs de manioc au monde, mais importe encore de l’amidon et de la farine de blé transformée. Résultat : un déficit commercial persistant dans le secteur agroalimentaire, une dépendance aux marchés extérieurs, et une perte de valeur ajoutée.
Les défis de la transformation locale
Pourquoi l’Afrique transforme-t-elle si peu ses produits ? Plusieurs freins structurels expliquent ce paradoxe :
Les infrastructures insuffisantes : routes dégradées, réseaux d’électricité instables, difficultés d’accès à l’eau rendent les coûts de production élevés.
Le financement difficile : les PME agroalimentaires peinent à accéder à des crédits adaptés, notamment pour acquérir du matériel ou construire des unités de transformation.
Le manque de technologies adaptées : les équipements sont souvent importés, coûteux, et peu adaptés aux réalités locales.
La faible intégration des filières : entre le producteur, le transformateur et le distributeur, les chaînes de valeur sont fragmentées et désorganisées.
Une faible politique industrielle : rares sont les pays africains à avoir une stratégie nationale pour développer la transformation agroalimentaire.
Des modèles qui émergent
Malgré les obstacles, plusieurs initiatives africaines démontrent qu’un autre modèle est possible. Au Bénin, la filière ananas a été modernisée grâce à des partenariats publics-privés, avec des PME comme Promo Fruits qui transforment le fruit en jus exporté. En Éthiopie, le café subit de plus en plus de premières transformations sur place, avec une montée en gamme locale. Au Ghana, le programme « One District One Factory » soutient l’installation d’unités de transformation dans les zones rurales.
Le Rwanda s’est également illustré par une politique cohérente : subventions ciblées, formation technique, incitations fiscales pour les investisseurs locaux et étrangers. Le pays exporte aujourd’hui des produits transformés (jus, lait, fromages, huiles essentielles) vers les marchés africains et internationaux.
Vers une souveraineté alimentaire ?
Transformer localement permettrait à l’Afrique de réduire sa dépendance alimentaire, de créer des emplois jeunes, de capter plus de valeur, et de dynamiser les économies rurales. Cela suppose un changement de paradigme, où l’on investit dans l’amont (formation, financement, innovation) et dans l’aval (logistique, normes, exportation).
Le succès passera aussi par une meilleure intégration régionale. Une usine au Burkina Faso pourrait fournir les marchés du Niger et du Mali si les frontières étaient moins restrictives. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) représente, à ce titre, une opportunité inédite pour faire circuler plus facilement les produits transformés d’un pays à l’autre.
Conclusion
L’Afrique n’a pas seulement besoin de cultiver plus : elle doit transformer mieux. En s’émancipant de l’export brut, en valorisant ses richesses agricoles localement, le continent peut bâtir une économie plus résiliente, inclusive et durable. La souveraineté alimentaire ne viendra pas d’un miracle technologique, mais d’une volonté politique ferme, d’un soutien à l’initiative privée, et d’un renforcement des chaînes de valeur locales.