Maroc : les territoires ruraux, nouveau front de l’entrepreneuriat national

Maroc : les territoires ruraux, nouveau front de l’entrepreneuriat national
Loin des projecteurs de Casablanca, Rabat ou Tanger, un autre Maroc entreprend. Dans les montagnes du Rif, les plaines du Haouz, les oasis du Drâa-Tafilalet ou les plateaux du Moyen Atlas, des initiatives locales fleurissent, portées par des jeunes, des femmes, des coopératives, des startups, et parfois par d’anciens migrants revenus au pays. Un entrepreneuriat rural, enraciné, souvent discret, mais de plus en plus stratégique.
Ce phénomène n’est pas marginal. Selon l’Office du Développement de la Coopération (ODCO), le nombre de coopératives actives dans les régions rurales a fortement augmenté au cours de la dernière décennie, notamment dans l’agriculture biologique, l’artisanat, la valorisation des produits du terroir (argan, safran, figues de barbarie, dattes, huile d’olive…), mais aussi dans des domaines plus récents comme l’écotourisme ou le digital rural.
Ce renouveau entrepreneurial s’inscrit dans un contexte de mutations profondes. Le Maroc rural, longtemps perçu comme un espace de pauvreté ou d’exode, est désormais envisagé comme un gisement de solutions. La crise du Covid-19, les sécheresses successives, et la pression sur les grandes villes ont renforcé l’idée qu’un développement plus équilibré du territoire est nécessaire, voire vital.
Plusieurs leviers expliquent cette dynamique. D’abord, l’investissement public. Le Plan Maroc Vert, puis sa déclinaison Generation Green 2020-2030, ont structuré l’appui à l’agriculture solidaire, à l’irrigation intelligente, et à l’accès au financement pour les petits producteurs. Des programmes comme INDH (Initiative Nationale pour le Développement Humain) ont ciblé l’inclusion économique des jeunes et des femmes rurales. Le déploiement progressif du très haut débit dans certaines provinces a aussi permis l’émergence d’activités en ligne, comme les plateformes de vente directe ou de formation.
Ensuite, l’accès au marché a évolué. Grâce au digital, des producteurs de miel dans le Gharb ou de plantes médicinales dans l’Oriental peuvent désormais vendre via Instagram ou Jumia. Des coopératives féminines de tissage du Moyen Atlas créent leurs propres marques, exportent vers l’Europe, ou collaborent avec des designers marocains. À Tinghir ou Errachidia, des jeunes créent des circuits touristiques autour de la culture amazighe ou de la permaculture.
Mais ces succès restent fragiles. Les obstacles sont nombreux : manque de capital de départ, accès limité au crédit bancaire, rigidité administrative, difficulté à se structurer juridiquement, ou encore accès inégal à l’information. De nombreuses coopératives ne survivent pas au-delà de deux ou trois ans, faute d’accompagnement ou de débouchés stables. Le fossé entre les intentions des politiques publiques et leur mise en œuvre concrète sur le terrain est souvent dénoncé par les acteurs locaux.
L’autre enjeu majeur est celui de la formation. Beaucoup d’initiatives échouent parce que les porteurs de projets manquent de compétences en gestion, marketing, logistique ou digital. Des incubateurs ruraux commencent à émerger, comme à Ouarzazate, Al Hoceima ou Beni Mellal, mais ils restent rares. Pourtant, la demande est là : chez les jeunes sans emploi, les mères de famille, les anciens migrants, ou les agriculteurs en reconversion.
Il est donc urgent de repenser l’écosystème entrepreneurial rural comme un ensemble intégré. Cela suppose une meilleure coordination entre les régions, les communes, les agences de développement, les ONG, et les universités locales. Cela implique aussi d’adopter une logique d’incubation de proximité : centres de ressources, mentorat, accès au microcrédit, appui à la commercialisation.
Enfin, il faut poser une question stratégique : que veut dire “réussir” dans un territoire rural marocain ? Trop souvent, les indicateurs restent calibrés sur les modèles urbains (startups tech, hypercroissance, export…). Or, la réussite en zone rurale peut signifier créer 10 emplois locaux durables, revitaliser une culture agricole oubliée, valoriser un savoir-faire ancestral, ou simplement permettre à une famille de rester vivre dignement sur sa terre.
Le Maroc dispose aujourd’hui d’un atout stratégique encore sous-estimé : ses territoires. La transition économique nationale ne pourra se faire sans une redéfinition du rôle des zones rurales dans la création de richesse, d’innovation et de résilience. L’entrepreneuriat rural n’est pas un supplément d’âme. C’est l’une des clefs d’un développement plus juste, plus équilibré et plus durable pour le pays.