Les fonds d’investissement africains : vers une finance panafricaine au service de l’entrepreneuriat ?

Les fonds d’investissement africains : vers une finance panafricaine au service de l’entrepreneuriat ?
Pendant des décennies, le financement de l’entrepreneuriat africain a été principalement alimenté par des capitaux extérieurs : agences de développement, fonds d’investissement étrangers, banques multilatérales ou encore investisseurs occidentaux opérant depuis Londres, Paris ou New York. Si ces flux ont joué un rôle structurant, ils ont aussi installé une dépendance chronique, des logiques d’investissement souvent éloignées du terrain, et une forme d’asymétrie entre les porteurs de projets africains et ceux qui décident de les financer.
Mais depuis quelques années, une dynamique nouvelle s’installe. Un nombre croissant de fonds d’investissement africains, créés et pilotés par des acteurs du continent, émergent et prennent position dans le financement des startups, des PME, ou des projets d’impact. Ces fonds, souvent hybrides (privés/publics), affichent une volonté forte de financer les solutions africaines à partir de ressources africaines, tout en adaptant leurs critères aux réalités locales.
Ce changement de paradigme est encore embryonnaire, mais il est porteur d’une ambition stratégique : bâtir une finance panafricaine, ancrée, souveraine et alignée avec les besoins de croissance durable du continent.
L’évolution du paysage est manifeste. En Afrique francophone, des fonds comme Wic Capital (Sénégal), Janngo Capital (Côte d’Ivoire), ou encore Teranga Capital ont ouvert la voie à une nouvelle génération d’investisseurs à impact, souvent dirigés par des Africains et dotés d’une approche inclusive et patiente.
Dans les pays anglophones, des fonds comme Chandaria Capital (Kenya), Ingressive Capital (Nigeria), CRE Venture Capital ou EchoVC ont investi dans plusieurs des startups technologiques les plus dynamiques du continent. Certains sont désormais reconnus à l’international, mais conservent une base africaine forte, un réseau de mentors locaux, et une lecture plus fine des marchés régionaux.
Parallèlement, les fonds souverains africains commencent à jouer un rôle plus actif dans le financement de l’économie productive. Le Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS), le Sovereign Wealth Fund of Nigeria (SWF), ou le Fonds marocain Mohammed VI pour l’investissement sont autant d’exemples d’acteurs publics qui cherchent à soutenir des filières stratégiques nationales, mais aussi des entreprises à fort potentiel de croissance.
L’émergence de ces fonds africains change progressivement les rapports de force. Elle permet aux entrepreneurs locaux d’avoir des interlocuteurs plus proches, culturellement et géographiquement, avec une meilleure compréhension des défis opérationnels et moins d’exigences irréalistes sur la rentabilité immédiate.
De plus, ces fonds tendent à adopter des approches plus souples en matière de structuration financière. Là où certains investisseurs internationaux exigent des niveaux de gouvernance ou de formalisme inaccessibles à de jeunes entreprises africaines, les fonds locaux proposent parfois des tickets intermédiaires, un accompagnement opérationnel, voire des solutions hybrides entre dette et capital.
Toutefois, ce mouvement reste encore freiné par plusieurs limites structurelles. Le montant global des fonds africains reste faible en comparaison des capitaux internationaux. Beaucoup de structures manquent de ressources pour investir massivement ou soutenir les phases d’expansion à grande échelle. La levée de fonds auprès des institutionnels africains (banques, assurances, grandes entreprises) reste difficile, par manque de culture de l’investissement à risque ou de cadres juridiques incitatifs.
Par ailleurs, dans de nombreux pays, les marchés de capitaux restent sous-développés : la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), la Bourse de Casablanca ou celle de Lagos ne jouent pas encore pleinement leur rôle de financement des entreprises. Le secteur du capital-investissement reste dominé par des structures étrangères, même lorsqu’elles opèrent localement.
Pour franchir un cap, la finance panafricaine devra se renforcer sur trois piliers : la formation, l’interconnexion et la capitalisation.
D’abord, il est indispensable de former une nouvelle génération d’analystes financiers, de gestionnaires de fonds et de conseillers en investissement issus du continent, capables de structurer, d’évaluer et d’accompagner les projets africains. Des initiatives comme l’African Private Equity and Venture Capital Association (AVCA) ou des programmes spécialisés dans les écoles de commerce africaines vont dans ce sens.
Ensuite, les fonds africains doivent collaborer davantage entre eux, créer des synergies régionales, mutualiser leurs expertises, et co-investir dans des projets transfrontaliers. Une finance véritablement panafricaine ne peut exister sans une dynamique d’alliance entre les économies d’Afrique de l’Ouest, du Nord, de l’Est et du Sud.
Enfin, il faudra mobiliser davantage de capitaux dormants en Afrique : l’épargne des ménages, les excédents des entreprises publiques, les budgets alloués à l’innovation, ou encore les contributions des diasporas africaines peuvent être canalisés vers des véhicules d’investissement locaux bien gouvernés, transparents et orientés vers l’impact.
Dans cette perspective, l’État a aussi un rôle clé à jouer. En créant des incitations fiscales pour les investisseurs nationaux, en facilitant la titrisation de créances, en encourageant l’épargne à long terme via les caisses de retraite ou les assurances, les gouvernements africains peuvent donner un coup d’accélérateur à la capitalisation de leurs fonds stratégiques.
La question n’est pas seulement économique, elle est aussi politique. Une finance contrôlée par l’Afrique pour financer les solutions africaines, c’est une étape fondamentale vers l’indépendance réelle, vers un développement autocentré, et vers la possibilité de soutenir des entrepreneurs porteurs de sens, même s’ils ne cochent pas toutes les cases des standards internationaux.
Dans un monde de plus en plus incertain, où les financements se rétractent, où les modèles de croissance doivent être réinventés, l’Afrique a besoin de ses propres outils financiers. Et les fonds africains, bien structurés, bien gouvernés, peuvent devenir ces outils. À condition de ne pas copier les modèles d’ailleurs, mais de construire une finance utile, enracinée, et alignée sur les aspirations du continent.

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