Le foncier agricole en Afrique : une bombe sociale à retardement ?

Le foncier agricole en Afrique : une bombe sociale à retardement ?

Les terres africaines attisent de nombreuses convoitises. Depuis une quinzaine d’années, investisseurs privés, multinationales agroalimentaires, gouvernements étrangers et fonds souverains multiplient les acquisitions de terres agricoles sur le continent. Présentée parfois comme une opportunité de modernisation ou de sécurité alimentaire, cette ruée vers la terre soulève pourtant de lourdes inquiétudes quant à la souveraineté des États, la survie des communautés rurales et les équilibres socio-économiques.

L’un des problèmes majeurs est l’insécurité foncière. Dans la plupart des pays africains, les terres rurales sont régies par des droits coutumiers, souvent non écrits, transmis oralement de génération en génération. Ces systèmes traditionnels ne sont pas toujours reconnus par les administrations, ce qui rend les communautés vulnérables à l’expulsion ou à l’appropriation illégale. Lorsqu’un investisseur obtient une concession de plusieurs milliers d’hectares, les paysans concernés découvrent souvent le projet trop tard, sans véritable consultation, ni compensation juste.

Les cas de litiges fonciers explosent. Au Mozambique, des conflits éclatent régulièrement entre populations et compagnies agricoles. En Éthiopie, certains projets d’agriculture à grande échelle ont provoqué des déplacements de communautés entières. En Côte d’Ivoire ou au Ghana, les conflits intergénérationnels autour de la terre se multiplient, opposant jeunes agriculteurs et élites locales. Cette pression foncière engendre non seulement des tensions sociales, mais menace aussi la durabilité de l’agriculture vivrière.

Car l’accaparement des terres va souvent de pair avec une logique d’exportation. Riz pour les marchés asiatiques, huile de palme pour l’Europe, fleurs pour les Pays-Bas… De vastes zones fertiles sont consacrées à des cultures non destinées aux besoins alimentaires locaux. Le paradoxe est saisissant : des pays riches en terres et en eau importent des céréales pour nourrir leur population. La question de la souveraineté alimentaire, à l’heure du changement climatique, devient cruciale.

Certains États commencent à réagir. Le Sénégal a lancé une réforme foncière ambitieuse pour reconnaître les droits coutumiers et encadrer les transferts. Le Bénin ou le Rwanda numérisent les titres de propriété pour réduire les fraudes. Mais ces efforts se heurtent souvent à des blocages politiques ou à la résistance des élites bénéficiaires du statu quo. Par ailleurs, de nombreuses ONG et organisations paysannes demandent un moratoire sur les cessions de terres à des entités étrangères, appelant à une gouvernance foncière plus inclusive.

Le défi est de taille : il s’agit de sécuriser les terres pour les paysans, tout en encourageant des investissements agricoles durables, équitables et compatibles avec les réalités locales. Une révolution agraire silencieuse est en cours, mais sans dialogue, sans transparence, elle risque de générer davantage d’injustice que de progrès.

 

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