Vers un nouveau pari industriel : l’aéronautique marocaine sur les traces de l’automobile ?

Vers un nouveau pari industriel : l’aéronautique marocaine sur les traces de l’automobile ?
Le Maroc poursuit lentement, mais sûrement, sa transformation industrielle. Alors que l’automobile est devenue en une décennie le premier secteur exportateur du pays, l’aéronautique, encore discret il y a peu, prend désormais son envol. La participation du Maroc à l’édition 2025 du Salon du Bourget, vitrine mondiale de l’industrie aéronautique, n’est pas un simple geste diplomatique : elle incarne une volonté stratégique d’inscrire le royaume dans les chaînes de valeur mondiales de l’aviation. La question se pose donc : l’aéronautique peut-elle devenir le prochain pilier industriel du Maroc, à l’image de l’automobile ?
Un secteur jeune… mais en pleine ascension
L’industrie aéronautique marocaine a fait ses premiers pas au début des années 2000, avec l’installation de quelques sous-traitants dans la région de Casablanca. Deux décennies plus tard, le paysage a profondément changé : plus de 140 entreprises sont aujourd’hui implantées, générant près de 20 000 emplois directs, avec une intégration locale dépassant les 40 % selon les chiffres du ministère de l’Industrie.
Des géants comme Boeing, Safran, Thales, ou encore Stelia Aerospace ont choisi le Maroc pour y implanter des unités de production, notamment dans la zone Midparc, dédiée à l’aéronautique, à proximité de l’aéroport Mohammed V. Le pays ne se contente plus d’assembler des pièces simples : il produit des composants critiques (nacelles, câblages, pièces mécaniques de précision) répondant aux normes rigoureuses de l’industrie aérienne.
L’objectif affiché par les autorités est clair : faire du Maroc une plateforme régionale incontournable dans ce secteur stratégique, avec un chiffre d’affaires export dépassant les 2 milliards d’euros d’ici 2030.
L’effet d’entraînement de la success story automobile
L’expérience acquise avec l’industrie automobile joue un rôle moteur. En l’espace de dix ans, le Maroc est devenu un hub continental avec les usines de Renault Tanger Med et Stellantis Kénitra, générant plus de 220 000 emplois directs et indirects et exportant des centaines de milliers de véhicules chaque année.
Cette réussite repose sur plusieurs piliers :
Des incitations fiscales et douanières attractives.
Des zones industrielles intégrées connectées à des ports comme Tanger Med.
Des partenariats public-privé dans la formation, à l’image de l’Institut de Formation aux Métiers de l’Industrie Automobile (IFMIA).
Le gouvernement ambitionne de reproduire cette dynamique dans l’aéronautique, en misant sur la formation technique, la stabilité politique, et un positionnement géographique stratégique entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne.
Mais l’aéronautique n’est pas l’automobile : un saut technologique plus complexe
L’aéronautique est un secteur bien plus exigeant. Là où l’automobile permet des marges d’assemblage, l’aviation impose une tolérance zéro. Chaque composant doit être traçable, certifié, et répondre à des normes de sécurité extrêmement strictes.
Le développement de compétences humaines reste donc un défi majeur. Les profils techniques intermédiaires manquent encore, et les écoles d’ingénieurs marocaines doivent s’adapter aux besoins spécifiques du secteur aérien. La montée en gamme nécessite aussi des investissements en R&D, en robotisation, et en cybersécurité, domaines où le Maroc accuse encore du retard.
Par ailleurs, le contexte géopolitique pèse. La relance post-Covid du secteur aérien mondial reste fragile, et les tensions commerciales internationales affectent les décisions de localisation industrielle.
Une vision à affiner pour une montée en puissance durable
Pour réussir le pari de l’aéronautique, le Maroc devra dépasser son rôle de sous-traitant. Il s’agit désormais de créer de la valeur ajoutée locale, en développant des compétences d’ingénierie, de conception et d’innovation. Cela implique :
Le renforcement des écosystèmes industriels (métallurgie, composites, électronique embarquée).
La création de pôles de recherche liés aux universités et aux industriels.
Une meilleure coordination intersectorielle pour l’export et la logistique.
Il faudra également attirer davantage d’investissements directs étrangers, tout en favorisant l’émergence de PME marocaines capables de devenir des fournisseurs de rang 1 ou 2 dans la chaîne de production mondiale.
Conclusion : vers un envol contrôlé
Le Maroc semble bel et bien décidé à faire de l’aéronautique son prochain pari industriel. Les fondations sont solides, les acteurs internationaux sont présents, et la volonté politique existe. Mais pour transformer cette ambition en succès durable, le pays devra passer à la vitesse supérieure, en misant sur la qualité, la montée en compétences et l’innovation.
Le ciel peut devenir une nouvelle frontière pour l’industrie marocaine — à condition d’avoir les bons instruments de navigation.